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lundi 20 mars 2006

Commentaires d’une syndiquée de la loi sur l’égalité des chances

Le combat qui anime aujourd’hui les lycéens, les étudiants, les jeunes travailleurs et les jeunes chômeurs ainsi qu’un nombre de plus en plus important de salariés se focalise sur le CPE avec raison.

Cependant, c’est l’ensemble de la loi sur l’égalité des chances qui pose des problèmes cruciaux à notre démocratie, et aux droits de chacun ( voir le texte extrèmement précis de René Bourrigaud, « La bataille du droit et de la démocratie »).

Les articles 1 et 2 de la loi viennent d’entériner l’apprentissage à 14 ans, mettant fin à la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, dans le cadre d’un collège unique qui garantissait à tous un même accès à une même formation générale. La loi prévoit le retour « de droit » des jeunes vers l’enseignement général, à leur demande. Mais avec quels moyens, humains, financiers, pédagogiques ? Et jusqu’à quel âge ? Si un jeune placé en apprentissage à 14 ans souhaite reprendre des études après ses 16 ans, quel droit le protègera ?

Quand on sait les dégâts d’un apprentissage trop précoce sur le parcours professionnel de ceux qui ont été « orientés » par défaut plutôt que par choix, on ne peut que s’alarmer des effets dévastateurs de ces deux articles

Les articles 3, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15 concernent les avantages fiscaux consentis aux entreprises dans le cadre de leur installation dans les zones franches ou de l’embauche des jeunes : égalité des chances dans une belle inégalité des traitements quand on sait que les entreprises n’ont jamais réalisé autant de profits que lors de ces deux années 2004 et 2005.

Les articles 24 et 25 concernent le contrat de responsabilité parentale et la suspension des prestations familiales. Ceux qui ont de grands adolescents feraient bien de jeter tous les écrits de Françoise Dolto pour installer des barreaux aux fenêtres de leur logement, des chaînes au bas des escaliers et prendre quelques cours de combat : comment retient-on de force un jeune au domicile parental ? Qui décidera qu’il est « normal » ou non de laisser les jeunes vivre au dehors ?

Dans le même esprit, l’article 26 renforce les pouvoirs des polices municipales et l’article 27 donne aux maires le pouvoir de sévir contre les « incivilités » ( ?). Cette loi fait de tous les jeunes des déliquants en puissance et installe les parents dans un rôle de « garde-chiourme » qui ne conviendra pas sans doute pas à tout le monde. C’est le président du Conseil général qui pourra saisir le procureur pour amener une famille à signer le fameux contrat au risque de voir ses prestations suspendues. Dans certains départements, on pense à la Vendée mais pas exclusivement, on imagine sans peine les éventuels abus et les « clientèles » visées.

L’article 28 crée le servcie civil volontaire, descendant des « contrats-jeunes » : peu rémunéré, d’une durée de 2 ans, visant le monde associatif. On en connaît les effets très moyens sur l’emploi des jeunes à l’issue de ces moments d’intégration dont l’expérience n’est pas reconnue comme professionnelle.

Que reste-t-il alors de la loi sur l’égalité des chances ? La création d’une Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (article 16, 17 et 18) : avec quels moyens ? Dans l’esprit de la loi ? L’extension des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations en matière pénale, qui a déjà fait montre d’une efficacité discutable. Le recours au « testing » pour prouver un acte de discrimination en matière pénale : attaquer les tribunaux ? L’extension des missions du CSA dans le domaine de la cohésion sociale et de la lutte contre les discriminations dans l’audiovisuel ? L’Etat financera les emplois ?

Rappelons enfin que le CPE et les mesures qui l’accompagnent sont arrivés en amendement au premier texte, comme un plus qui aurait été oublié, histoire de parler d’emploi dans un pays qui se caractérise par la si petite place faite aux jeunes.

Quand le discours politique inverse le sens des concepts-clés d’une société et invoque « l’égalité des chances » pour amplifier les discriminations1, ce n’est plus de la vigilance qu’il nous faut, c’est bien de l’action.


Maryse Souchard - Maître de conférences en Communication
Université de Nantes / IUT de La Roche-sur-Yon -
Syndiquée à la FERC Sup CGT