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vendredi 25 mai 2012

L’heure de vérité : c’est l’abrogation qu’il nous faut !

Le lundi 14 mai 2012, alors qu’aucune urgence ne le justifiait, la Commission Permanente du Conseil National des Universités a publié un communiqué qui, sous prétexte d’une information relative au calendrier, annonce publiquement les conclusions "provisoires" d’un « Groupe de travail – évaluation » en faveur d’une mise en œuvre amendée du dispositif d’évaluation quadriennal des enseignants-chercheurs issu du décret du 23 avril 2009.

Une semaine plus tard, devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche en séance le 21 mai 2012, la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a estimé qu’il fallait redéfinir le système d’évaluation : « Il faut revoir les modalités d’une évaluation qui se fasse en toute transparence et avec la possibilité de la réviser en cas de dysfonctionnement. C’est une nouvelle méthode de travail. ».

La FERC Sup CGT dénonce cette nouvelle tentative de passage en force de la CP-CNU. La procédure de consultation des sections CNU n’est pas achevée, les sections qui devaient rouvrir leurs débats sur la base d’un texte préparé par le « Groupe de travail – Évaluation » n’ayant pu encore le faire, le travail de celui-ci n’est pas achevé et aucun document n’a été transmis aux sections pour mise en discussion.

La FERC Sup CGT rappelle que l’évaluation quadriennale est rejetée et combattue par l’immense majorité de la communauté universitaire depuis 2009. Ce ne sont pas les modalités mais le principe même du dispositif introduit en 2009 qu’il faut reconsidérer, sachant que, contrairement à ce que le gouvernement de l’époque a tenté de faire croire, les enseignants-chercheurs ont toujours été évalués : ils le sont lors de leur qualification initiale à l’entrée de carrière, puis pour chaque promotion, lors de chaque demande de mobilité géographique ou de reconversion thématique. Ils le sont aussi pour intégrer un laboratoire, pour demander une mutation professionnelle, lors de la soumission d’un projet scientifique au CNRS, à l’ANR ou à toute autre agence de moyens, lors de l’évaluation des formations et des équipes de recherche par les universités elles-mêmes, lors de la soumission de leurs articles pour publication dans les revues scientifiques ; ils le sont encore à chaque fois qu’ils demandent à bénéficier d’une prime. L’activité d’un enseignant-chercheur est donc, par sa nature même, soumise à des évaluations scientifiques constantes et elle consiste du reste en une part considérable d’évaluations, puisque seuls les enseignants-chercheurs compétents dans la même discipline sont en mesure d’évaluer d’autres enseignants-chercheurs : ceux-ci passent par conséquent, d’ores et déjà, une part considérable de leur temps à évaluer minutieusement la qualité des travaux non seulement de leurs étudiants mais aussi de leurs collègues.

L’introduction de cette évaluation individuelle interviendrait à un moment où l’on constate dans les établissements une dégradation certaine des conditions de travail des enseignants-chercheurs. La multiplication des tâches administratives effectuées en lieu et place des personnels BIATOSS trop peu nombreux, l’accroissement des procédures d’évaluation à tous les niveaux (étudiants, personnels, services, laboratoires, établissements, PRES, etc.), la course aux labels, aux financements et aux fusions accélérées d’établissements, détruisent les collectifs de travail, génèrent du stress et sont autant de sources de souffrance au travail.

L’exercice du métier d’enseignant-chercheur repose sur un délicat équilibre entre une rémunération qui n’est pas en rapport avec la durée de leurs études et l’investissement personnel nécessaire pour accéder à cette profession d’une part et des conditions de travail garantissant une réelle liberté intellectuelle et scientifique d’autre part. Ce difficile compromis ne peut être rompu sans créer une injustice révoltante et sans dissuader de futures vocations professionnelles. Les perspectives de modification du statut entraînent déjà une crise des vocations sensible chez les étudiants qui renoncent à la voie de l’enseignement et de la recherche dans le supérieur.

Le dispositif d’évaluation contesté n’a pas été conçu pour améliorer la qualité du Service public mais pour renforcer des pouvoirs centralisés et hiérarchiques, comme le précédent gouvernement l’a fait dans d’autres domaines. Cette orientation tente de restreindre une liberté de la recherche pourtant indispensable à sa créativité. Loin de constituer une évaluation scientifique, fondée sur une lecture critique des travaux, le dispositif envisagé s’appuie principalement sur un productivisme stérile en matière de recherche : le décompte des articles publiés et l’estimation de leur "poids" sur internet. Cela n’assure en rien la qualité des résultats scientifiques et ne peut que susciter des comportements nuisibles à l’institution universitaire et à la recherche en favorisant le seul travail immédiatement visible, susceptible d’être rapidement répertorié, privilégiant des recherches formatées et ne permettant pas de s’installer dans la durée et le long terme. C’est donc essentiellement vers des recherches de court terme que les budgets et les primes sont aiguillées, tandis que l’on retire progressivement tous moyens aux recherches plus originales ou plus scrupuleuses, celles-là mêmes qui nourrissent le savoir de demain.

La FERC Sup CGT rappelle aussi qu’il ne peut y avoir de recherche et d’enseignement de qualité sans indépendance des enseignants-chercheurs. Dans de nombreux domaines scientifiques et particulièrement dans ceux des Lettres, arts & sciences humaines, l’utilité des travaux scientifiques et pédagogiques pour la société dépend étroitement de la liberté de pensée et de création accordée aux enseignants-chercheurs. Le pluralisme intellectuel, la diversité des paradigmes et théories interprétatives est vital et ne peut résister à une évaluation individuelle, systématique et récurrente : le monolithisme de la pensée qui en résulterait serait fatal. Défendre la liberté de penser différemment, c’est-à-dire hors des courants majoritaires ou dominants, c’est défendre le principe même de la société démocratique. Dans les sciences de la matière et les sciences expérimentales un tel dispositif aura également des effets délétères d’éviction de nombreux sujets de recherche, de certaines spécialités ou approches de mêmes domaines de recherche avec, à l’horizon de ce conformisme, une réduction préjudiciable pour notre pays de ses capacités d’innovation (voir la déclaration de la CGT à la séance du CNESER du lundi 21 mai 2012).

L’heure de vérité est devant nous : la CP-CNU et la nouvelle ministre doivent entendre la voix de la communauté des enseignants-chercheurs, rudement mise à l’épreuve par une confrontation harassante et professionnellement démotivante avec le précédent gouvernement. La critique du quinquennat Sarkozy ne doit pas déboucher sur la mise en œuvre d’une réforme qu’il a voulue emblématique en soumettant les enseignants-chercheurs à la suspicion d’une notation managériale et permanente, aussi coûteuse en temps perdu qu’en appauvrissement de la pensée. Au contraire, elle doit remettre en cause ses fondements et oser le geste qui contribuerait à lever le doute sur la volonté de rétablir la confiance avec la communauté universitaire : celui, clair, sans ambiguïté, en un mot courageux, d’une abrogation du décret du 23 avril 2009.

Au-delà de l’évaluation des enseignants-chercheurs, c’est la question de l’évaluation managériale et hiérarchique de tous les personnels des établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui est en cause. La FERC Sup CGT rappelle son opposition à l’entretien professionnel individuel des personnels BIATOSS qui s’est transformé, comme nous l’avions dénoncé dès son introduction, en un dispositif d’évaluation hiérarchique.