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lundi 26 mai 2014

Derrière les réformes dévastatrices : la CPU

En août 2007, la toute nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, exhaussait les vœux émis par la Conférence des présidents d’université (CPU). En effet, à l’issue du colloque annuel de la CPU réuni à Metz les 15 et 16 février 2007, les présidents d’université avaient forgé 20 propositions sur l’autonomie, la gouvernance et les responsabilités des universités. Plate-forme qui a fourni à Nicolas Sarkozy et à sa ministre les bases sur lesquelles ils ont élaboré la loi relative aux Libertés et responsabilités des universités (loi LRU).

La ministre a manifesté sa gratitude en signant le 15 mai 2008 un arrêté attribuant à la CPU l’agrément lui permettant de bénéficier du régime des associations d’utilité publique.

Pour justifier le bien-fondé de sa loi, durant toutes les années qui ont suivi, la ministre s’est appuyée sur le transfert de la masse salariale de l’État vers les établissements à l’occasion de leur accession aux Responsabilité et compétences élargies (RCE), pour faire croire que la contribution de l’État à l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR) n’avait jamais été aussi importante. Afin de faciliter et de favoriser ce passage aux RCE dans les établissements, des présidents d’université nouvellement investis d’un pouvoir qu’ils ont cru sans limites, ont joué les apprentis sorciers en abusant des primes et du clientélisme pour œuvrer avec zèle à la mise en place de la loi LRU-Pécresse. Les présidents eux-mêmes n’ont pas été oubliés par la ministre qui a prévu pour eux, dans son « plan carrières 2009-2011 », des primes substantielles qu’ils n’obtiendraient qu’après passage de leur établissement aux RCE, tandis que le point d’indice des fonctionnaires était gelé à partir de 2010. Dans le même temps, la masse salariale transférée aux établissements était sous-évaluée, les plafonds d’emplois contraints et les crédits sur projets, notamment via l’Agence nationale pour la recherche (ANR), se substituaient aux crédits récurrents. Sur la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy on a vu se manifester les premières conséquences de l’autonomie financière des établissements avec plusieurs universités déclarées en difficultés et mises sous tutelle de leurs rectorats respectifs. Parallèlement, la politique de l’« excellence » portée par le Grand emprunt accélérait, en le forçant, le mouvement de regroupement régional des établissements.

Avec le soutien actif des présidents d’université, la loi LRU-Pécresse organisait donc tout à la fois le démantèlement du Service public d’ESR, le désengagement de l’État du financement de l’ESR et préparait sa recomposition régionale. Après l’élection de François Hollande et le simulacre des assises organisées par le Ministère de l’ESR fin 2012, la loi élaborée par la ministre Geneviève Fioraso adoptée en juillet 2013 a confirmé et amplifié cette politique destructrice. Le démantèlement se poursuit et s’accélère avec une recomposition du Service public d’ESR autour des Communautés d’université et d’établissements (ComUE) qui s’accompagne d’une injonction à la fusion des universités à marche forcée. Dépendant directement du Premier ministre, le Commissariat général à l’investissement chargé de la mise en œuvre du programme d’investissements d’avenir a poursuivi et soutenu la politique d’ « excellence » de l’ESR supposée faire émerger des pôles universitaires capables d’affronter la concurrence mondiale.

Lorsqu’une délégation de la CGT a rencontré la nouvelle direction de la CPU (présidents de Paris 2, de Marseille-Méditerranée et de Montpellier 3) le 24 mars 2011, il est apparu très clairement que la CPU ne remettait absolument pas en question la loi LRU-Pécresse mais qu’elle souhaitait au contraire exploiter toutes les possibilités offertes par l’ « autonomie » des universités. Un peu plus tard, lorsque les premières universités déficitaires sont apparues, la CPU réclamera que les universités soient dotées des moyens financiers leur permettant d’assurer leur indépendance économique.

Dès le début du quinquennat de François Hollande, les présidents d’université ont continué à réclamer les moyens de leur indépendance. Certains d’entre eux n’hésitant pas à se livrer à l’odieux chantage à la fermeture de sites ou de formations avec les mêmes arguments que les patrons d’industrie.

Lors de notre rencontre de 2011, la CPU nous a fait entendre sans détours qu’elle était en recherche de légitimité auprès du ministère et qu’elle souhaitait jouer de tout son poids dans les orientations à venir de l’ESR. Cette légitimité et la capacité d’action sur la marche de l’ESR, elle va l’obtenir au lendemain de l’élection de François Hollande avec la nomination de la nouvelle ministre de l’ESR, Geneviève Fioraso. La formation de son nouveau cabinet ministériel va donner l’occasion au lobby de la CPU d’acquérir les moyens d’orienter fortement et durablement la politique de l’État en matière d’Enseignement supérieur et de Recherche. Elle est en effet largement surreprésentée au sein du cabinet de la ministre : son directeur de Cabinet était président de la CPU (Lyon 1) quand il s’agissait de mettre en oeuvre la loi LRU-Pécresse, la directrice de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle est également ex-vice-présidente de la CPU (Paris 12) et était présidente de la commission « gouvernance : efficience, citoyenneté et démocratie » qui a porté les principales propositions de la CPU au colloque de 2007, le conseiller en charge des formations, de l’orientation et de l’insertion, maître d’oeuvre des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) était un membre actif de la CPU (Toulouse 2) et était rapporteur de la même commission « gouvernance » du colloque de 2007. Lorsque le directeur de Cabinet a été nommé conseiller d’État (au lieu de retourner à l’université), il a été remplacé par un autre ex-membre de la CPU (Limoges).

Ce travail de lobby a porté ses fruits au-delà du ministère. C’est un membre en exercice de la CPU (Paris 7), désigné par la ministre rapporteur des assises du MESR de 2012, qui a été nommé conseiller à la présidence de la république en charge de l’enseignement supérieur et la recherche. Le Comité de stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES) instauré par la loi LRU-Fioraso est présidé par une ancienne membre de la CPU (Dijon) qui est également présidente des conseils d’administration du CNOUS (oeuvres universitaires) et de Campus France qui assure la promotion de l’ESR français à l’étranger. Le rapporteur du comité StraNES est également membre actif de la CPU (Toulouse 3). Il faut ajouter à cela l’ancien président de la CPU (Nancy 1), initiateur du colloque de 2007 et accompagnateur du lancement de la loi LRU-Pécresse, qui est délégué permanent de la CPU à Bruxelles. Tout le monde aura pu constater que la totalité de l’organisation des assises organisées en 2012 par le ministère était sous le contrôle et l’influence des présidents d’université, tant au niveau local qu’au niveau national. La loi LRU-Fioraso que l’on présente comme l’aboutissement de ces assises organisées par le ministère, comporte deux volets principaux : l’un sur la réussite des étudiants permettant à la ministre de contourner une éventuelle mobilisation des organisations étudiantes, l’autre destinée à mettre l’ESR au service de l’emploi et de la compétitivité des entreprises françaises est principalement centrée sur une adaptation de la gouvernance des universités associée à la recomposition territoriale et régionale de l’ESR.

Enfin, c’est à l’ex-délégué général de la CPU que le ministère a confié la préparation du futur décret de réforme du CNESER dont la loi LRU-Fioraso a prévu la fusion avec le CSRT (Conseil supérieur de la recherche et de la technologie). Fusion qui n’a pas d’autre but que vider de sa substance le CNESER, instance nationale qui est perçue par les présidents d’université comme un frein à l’exercice de leur pouvoir dans le cadre de l’« autonomie » des établissements qu’ils dirigent. On se souvient par exemple du blocage emblématique du CNESER Disciplinaire pendant quasiment toute la durée du mandat de ce Cabinet de la ministre. La volonté politique de mettre fin à l’indépendance de cette juridiction n’est pas étrangère au fait que le CNESER disciplinaire, juridiction nationale d’appel du contentieux disciplinaire, est un obstacle et un enjeu central pour de nombreuses présidences d’université qui voient un nombre croissant de leurs initiatives contentieuses abusives annulées en appel par cette juridiction. C’est la dernière instance nationale de recours dont disposent les enseignants-chercheurs pour s’opposer à l’arbitraire auquel ils sont soumis dans leurs établissements.
De la même façon, la suppression de la procédure de qualification proposée par un amendement lors de sa discussion de loi LRU-Fioraso au Sénat aurait eu pour conséquences un affaiblissement considérable du rôle du Conseil national des universités et l’accroissement des pouvoirs des présidents et de leurs directions en leur donnant tout pouvoir sur le recrutement de leurs enseignants-chercheurs.

À travers la CPU, les présidents qui gèrent désormais le budget global et les personnels de leurs établissements, n’ont de cesse de pousser au renforcement des pouvoirs discrétionnaires de leurs équipes dirigeantes en affaiblissant toutes les instances nationales élues et délibératives susceptibles d’opérer des contrôles sur leurs choix de politiques nationales et locales ainsi que sur leurs activités et utilisations des moyens publics de l’État et des établissements publics.

La FERC Sup CGT rappelle son opposition à la financiarisation du Service public d’ESR (Plan Campus, PPP, fondations, Grand emprunt, etc.), fondée sur les revenus du capital, qui ne permet pas de construire un Service public fort et pérenne, ce dont ont besoin l’ESR, ses personnels et usagers.
C’est une politique qui contraint à intégrer la précarité et le risque comme seuls modes de gestion possibles. Nous ne réclamons donc pas que les universités aient les moyens de leur autonomie. Ce sont les lois LRU-Pécresse et LRU-Fioraso qui sont en cause. Nous demandons leur abrogation.

« Autonomie » et « excellence » ne sont que leurres et prétextes qui n’aboutissent qu’au démantèlement et à l’exclusion.

Si le gouvernement considère que l’Enseignement supérieur et la Recherche sont une chance pour le pays, c’est un Service public national d’Enseignement supérieur et de Recherche qu’il doit reconstruire. Aucun établissement, aucune communauté d’université et d’établissement ne parviendra à avoir la visibilité et à atteindre la masse critique que pourrait avoir un Service public national d’ESR. En matière de concurrence sur le marché des formations supérieures, jamais on ne pourra trouver plus concurrentiel qu’un Service public national fondé sur le principe de la gratuité de l’enseignement.

Un Service public comme celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doit être administré nationalement ; il doit être fondé sur le statut de la Fonction publique d’État et ne pas mettre en concurrence les personnels, les équipes pédagogiques et de recherche, les laboratoires, les établissements ou les régions.

Pour cela, la FERC Sup CGT exige le retour sur l’autonomie des universités et sur les RCE avec la ré-étatisation de la masse salariale, seule solution pour que l’État reprenne ses responsabilités et assure un fonctionnement pérenne du Service public d’Enseignement supérieur et de Recherche. La FERC Sup CGT considère que la CPU n’a aucune légitimité à représenter les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. La CPU s’appuie abusivement sur la légitimité de présidents d’université élus uniquement dans et pour leurs établissements, afin de construire sa propre légitimité et sa stratégie de groupe de pression qui lui permette de s’imposer comme une instance incontournable dans la conduite de la politique d’enseignement supérieur et de recherche. Dans cette perspective, la CPU avait obtenu du gouvernement Sarkozy l’élimination du scrutin proportionnel pour l’élection des Conseils d’administration d’université au profit d’un scrutin majoritaire accentuant de manière hégémonique la représentation de la liste arrivée en tête (loi LRU-Pécresse). Puis elle a fait modifier les modalités d’élection des présidents en réduisant la représentation des élus au profit de "personnalités extérieures" qui participent désormais à cette élection (loi LRU-Fioraso) tout en étant alliés aux présidents d’université eux-mêmes. La troisième étape de cette aberrante concentration de pouvoirs, se joue aujourd’hui avec les créations de Communautés d’universités et d’établissements (ComUE) issues de négociations totalement opaques entre présidents d’universités et ministère. C’est avec un cavalier législatif sur la loi sur l’agriculture que la CPU a obtenu que le Conseil académique des ComUE puisse être élu au suffrage indirect comme c’était déjà le cas pour les Conseil d’administration.

Ces différentes dispositions produisent un système de gouvernance des établissements et des ComUE sans contrôles externes (ceux de la cour des comptes étant trop rares et tardifs pour ne pas être illusoires) et sans contrôles internes, fautes d’instances démocratiques et délibératives : par de multiples manipulations des modes de scrutin, des systèmes d’information et des procédures de décisions, ces édifices d’administration de l’ESR régionalisé s’éloignent dangereuse des véritables lieux de travail et d’élaboration des contenus d’enseignement et de recherche avec le risque majeur de se croire affranchies des rigueurs de l’État-de-droit et des valeurs du Service public au profit d’une illusoire culture de la gestion d’entreprises.

Ce groupe de pression, idéologiquement orienté et défendant ses propres intérêts de caste, s’est à ce point installé aux sommets de l’État, à l’Élysée, à Matignon, au MESR et dans toutes la comitologie technocratique, qu’il est difficile de déterminer aujourd’hui qui, du lobby ou des autorités officielles, dirige réellement le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le MESR se trouve objectivement « capturé » par ce groupe d’intérêt particulier, ceci au détriment de l’intérêt général. Le niveau d’imbrication est tel que tout « problème » dans la politique nationale de l’enseignement supérieur et la recherche est construit de manière à justifier une nouvelle augmentation ou extension des pouvoirs des présidents d’universités comme « solution » au « problème » : cela se vérifie, mois après mois, pour chaque loi, décret ou circulaire.

Lors de son colloque annuel des 16 et 17 mai 2013 à Rennes, consacré aux hommes et aux femmes qui font l’enseignement supérieur et la recherche, la CPU a mis au centre du débat la maîtrise de la masse salariale de leurs établissements et son optimisation. Installés en qualité de chefs d’entreprises plus que chefs d’établissements universitaires par les lois LRU-Pécresse et LRU-Fioraso, ils sont investis du pouvoir d’instaurer et de gérer la politique d’austérité imposée par l’État et de mettre en oeuvre le démantèlement progressif du Service public ainsi que la mise en extinction de la Fonction publique. Seule une petite minorité de président-e-s universités fait mine de vouloir se démarquer de cette tendance.

C’est pourquoi, avec toutes les organisations FERC CGT relevant de l’enseignement supérieur et de la recherche, la FERC Sup CGT a refusé de signer le protocole soumis aux organisation syndicales représentatives par le ministère, en décembre 2013, pour imposer le principe, le cadre et les priorités d’un « dialogue social » avec la CPU. Cette dernière ne peut être habilitée à traiter des questions statutaires et réglementaires en lieu et place du ministère. Cette procédure initiée par le ministère met la CPU en position d’organisation représentative des employeurs dirigeant les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche. Nous refusons que la CPU se substitue au ministère.

Le ministère est notre seul interlocuteur au niveau national pour négocier les conditions de travail, d’emploi, de recrutement et d’avancement des personnels qui sont tous des agents publics de l’État (fonctionnaires et contractuels) répondant à des missions de Service public nationales.

La FERC Sup CGT demande au gouvernement :

  • de retirer l’agrément prévu à l’article L.233-2 du code de l’éducation permettant à la CPU de bénéficier du régime des associations reconnues d’utilité publique,
  • de s’affranchir de l’emprise des groupes de pression de toutes natures et de reprendre enfin la discussion directe avec les organisations syndicales qu’il méprise depuis trop longtemps dans les différentes instances où elles siègent pour exprimer un avis dont il ne tient plus aucun compte.