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vendredi 9 septembre 2016

Évaluer et classer pour « marchandiser »

Les classements internationaux
pour l’enseignement supérieur et la recherche

L’édition 2016 du classement de Shanghaï a été rendue publique à la mi-août. Nombre de médias ont immédiatement relevé la présence de trois établissements français dans le top 100 tandis que d’autres s’efforçaient de relativiser ces résultats en soulignant les travers de la méthodologie utilisée par les évaluateurs de l’université Jiao Tong de Shanghai.

On peut s’étonner de cette prévenance à l’égard des classements internationaux alors même que le classement de Shanghaï a été largement utilisé ces dernières années pour susciter, justifier, légitimer, expliquer les réformes et la restructuration du service public et national d’enseignement supérieur et de de recherche (ESR) de notre pays. On se souvient de V. Pécresse abusant de ces classements pour dénigrer l’université française supposée ne pas être à la hauteur de la mondialisation et justifier l’éclatement du service public qu’elle provoquait en donnant aux présidents d’universités l’« autonomie » qu’ils réclamaient. On n’oublie pas non plus la volonté de créer des établissements ayant une « masse critique » suffisante leur permettant d’être attractifs sur le marché international (donc bien classés), lorsque G. Fioraso a engagé la restructuration de l’ESR autour des Communautés d’universités et d’établissements (ComUE).

Simulacre et mensonges

Avec un étiage oscillant autour de 22 établissements présents dans la liste des 500 classés, la France reste entre la 8e et 5e place dans le classement de Shanghaï (ARWU) depuis sa création en 2003. Si on peut constater une légère progression depuis 2003, l’enseignement supérieur et la recherche français ont toujours été dans le groupe des 8 premières nations du Top 100 du classement : USA, Royaume uni, Allemagne, Japon, Canada, Suisse et Australie.

Si le secrétaire d’État à l’ESR a pris soin d’annoncer que la France occupe le 6e rang du Top 500 de la cuvée 2016 du classement, il oublie de dire qu’elle est en recul par rapport aux deux années précédentes.

Il faut aujourd’hui se rendre à l’évidence, ni la loi LRU-Pécresse ni la loi LRU-Fioraso n’ont produit les effets tant annoncés et espérés : placer les établissements français en meilleure position dans les classements internationaux et renforcer leur notoriété.

Les classements internationaux, et notamment celui de Shanghaï qui n’existait que depuis quatre ans en 2007, n’étaient qu’un alibi.

L’échec est au bout

Les chiffres publiés année après année sur le site de l’ARWU montrent que les deux réformes successives de 2007 et 2013 n’ont eu que peu d’effets positifs sur le nombre d’établissements français présents dans le classement de Shanghaï. Ce qui frappe au contraire, c’est la quasi stabilité du nombre d’établissements classés dans le Top 500 : entre 20 et 23 de 2004 à 2016. De sorte que, malgré les deux réformes contre le service public d’ESR, si on devait adopter le raisonnement de leurs initiatrices en 2007 et 2013, on serait contraint de constater que l’université française n’est pas plus brillante en 2016 qu’en 2004 : 22 établissements français dans le Top 500 ces deux années. Pire, si 4 établissements figuraient dans le Top 20 en 2004, il n’y en a plus que 3 cette année !

Pour ne rien arranger, l’édition 2016 du classement élaboré par la société britannique QS et publié cette semaine montre les effets de l’austérité, des restrictions budgétaires et de la diminution des postes dans nos établissements rendus « autonomes » de rechercher leurs financements : « 74 % des 39 universités françaises voient une baisse de leur réputation académique ». Ne doutons pas que ces résultats seront utilisés pour légitimer à nouveau la poursuite de la politique actuelle.

Les établissements, les formations, la recherche, les personnels, les étudiants et leurs familles sont mis à mal par cette politique. Les attaques répétées avec insistances contre le service public, l’enseignement supérieur, la recherche et leurs personnels, fragilisent et menacent la capacité des établissements à répondre aux besoins du pays et de sa jeunesse.

Classer, quantifier pour mettre en concurrence et ouvrir à la privatisation

Les chiffres fournis par le classement de Shanghaï montrent qu’il s’agit surtout d’un outil de politique intérieure à la Chine à destination des dirigeants des universités chinoises [1]. En 2004, 16 universités chinoises étaient dans le Top 500, en 2016 elles sont 54. En l’espace de 12 années, la Chine est ainsi passée du 8e au 2e rang en nombre d’établissements classés. Deux universités chinoises entrant dans le Top 100 cette année pour la première fois.

Depuis plusieurs années les fossoyeurs du service public national d’ESR dénigrent donc le travail des personnels et des étudiants des établissements d’ESR à partir de classements internationaux tels que celui de Shanghaï qui n’ont été ni prévus, ni conçus pour cela. Cette grossière et malhonnête manipulation servait l’objectif du démantèlement de l’ESR public devant créer les conditions de l’émergence d’un « marché de l’éducation » sur lequel les dirigeants européens initiateurs de la stratégie de Lisbonne (2000) voulaient être leaders. Dans cette logique, les réformes engagées ces dernières années ont permis d’ouvrir insidieusement l’ESR à la privatisation en le dotant progressivement d’une valeur marchande créée par la « marchandisation » des études supérieures [2].

La création du classement international européen, U-Miltirank}, promu par la ministre de l’ESR de 2007 n’y changera rien, même si des critères différents sont mis en œuvre. U-Multirank reste conçu (comme le classement QS) comme un outil permettant de comparer les établissements d’ESR en fournissant aux consommateurs ou consommatrices une jauge pré-formatée avec laquelle ils peuvent comparer les établissements et les mettre en concurrence. Ce qui ne peut aboutir qu’à l’exacerbation de la logique et des forces centrifuges introduites dans notre service public national par l’« autonomie » donnée aux établissements en 2007 et entretenue avec opiniâtreté jusqu’à aujourd’hui par les gouvernements et ministères successifs. D’ailleurs, le secrétaire d’État à l’ESR ne peut s’empêcher de s’appuyer sur les classements pour construire et promouvoir cette politique. Il confie à l’IGAENR la mission de fournir une « analyse et des recommandations sur la prise en compte des classements internationaux dans les politiques de site » pour que les ComUE intègrent mieux « les classements dans leurs réflexions stratégiques ».

Mettre en place un système sélectif et élitiste qui concentre les moyens sur quelques-uns seulement permettra peut-être à terme d’améliorer artificiellement les performances des établissements français dans les classements internationaux mais cela ne répondra certainement pas aux besoins sociaux et culturels de notre pays ni à la nécessité d’ouvrir au plus grand nombre l’accès à un enseignement supérieur et une recherche de haut niveau et de qualité.

Des liens complémentaires


[1Faut-il croire le classement de Shanghaï ? Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou et Philippe Vincke • Revue de la régulation - Capitalisme, institutions, pouvoirs • Automne 2010

[2 Le classement de Shanghai ou le nouveau "marché de l’éducation" , Constant Méheut, La Tribune du 16/08/2016