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dimanche 17 juin 2018

Formation des enseignants : la Cour des comptes et les ministres Blanquer et Vidal veulent finir de démanteler les ÉSPÉ.

Les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ÉSPÉ, mises en place en 2013, suite à la disparition des IUFM) assurent la formation des enseignant.e.s et des conseiller.ère.s principaux.ales d’éducation (les CPE). Les ÉSPÉ sont largement sous dotées financièrement et les personnels, les étudiants et les stagiaires subissent des conditions d’études et de travail très difficiles. Le rapport de la Cour des comptes (CDC) et les ministres annoncent la volonté de commencer la curée…

4 juin 2018 : la Cour des comptes vient enfin de rendre public son rapport du 12 mars 2018 sur « la mise en place des ÉSPÉ », rapport remis au ministre de l’Éducation Nationale (MEN) et à la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Les deux ministres ont immédiatement répondu. Ces annonces ont sans doute été différées à cause du climat social, afin d’attendre la fin d’année.

1. Le rapport de la CDC

Ce rapport à charge confirme malheureusement les alertes lancées par la CGT dès le mois de février 2018 et dessine assez nettement le profil des attaques imminentes à l’encontre de ce qui reste encore debout dans la formation des enseignant.e.s et des CPE de l’enseignement public.

Comme souvent, la Cour des comptes a pour préoccupation première la réduction des coûts et l’application d’une certaine politique. Le rapport estime à 1,1 milliard d’€ le coût de la formation des enseignant.e.s et préconise une réduction de ce coût en proposant une série de mesures réunies par un même objectif : que le ministère de l’Éducation nationale (l’employeur) reprenne la main sur les ÉSPÉ, au détriment du pouvoir de l’Université (le formateur principal). C’est le sens de l’axe 1 du rapport : « RENFORCER LE PILOTAGE DE L’ÉTAT FACE AUX UNIVERSITÉS ».

Ainsi, après avoir confié le dossier de la formation des maîtres à un enseignement supérieur public éclaté en universités néolibéralisées (c’est-à-dire animées par la concurrence, l’élitisme, le management par la pression accrue et le culte de « l’excellence », la compression budgétaire, etc.), le pouvoir peut désormais prendre prétexte des dégâts humains, pédagogiques, matériels et budgétaires des dernières années pour reprendre la main, récupérer la maîtrise des débris de la formation et des ÉSPÉ et porter le coup de grâce en lançant pêle-mêle des idées telles que :

  • « Une carte des formations à rationaliser » (comprendre : fermer des formations, des sites, fusionner…) ;
  • « Une méconnaissance des coûts à surmonter » (comprendre : renforcer l’étranglement budgétaire de la formation) ;
  • « Un renforcement du pilotage de l’État » (comprendre la réduction de l’empreinte universitaire à un affichage).

Du coup, on voit bien que les 6 propositions du rapport vont dans le même sens :

  • recommandation n°1 : « Identifier dans les contrats des sites universitaires concernés la mission de formation des enseignants ; prévoir en annexe des contrats, un document d’orientation pour l’offre de formation MEEF [métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation] au sein du site ; préciser dans le dialogue de gestion annuel les moyens au bénéfice de l’ÉSPÉ. »
    Alors qu’on nous parle sans arrêt depuis 2008 de l’autonomie des universités et de « l’universitarisation » de la formation dans les ÉSPÉ (le fait de les adosser à l’enseignement et la recherche), la CDC veut un pilotage ministériel plus centralisé, en particulier sur le financement. Cela pourrait aller dans le bon sens… si nous ne connaissions pas les intentions destructrices du gouvernement et la feuille de route néolibérale du programme CAP 2022 : réduction massive du nombre de postes de fonctionnaires, attaques sur les statuts, etc.
  • recommandation n°2 : « Rationaliser l’offre de formation en affirmant le rôle d’impulsion de la région académique pour promouvoir les coopérations inter-ÉSPÉ et mutualiser des formations au niveau inter-académique ».
    Cela signifie de nouvelles coupes sombres au niveau de l’offre de formation, à relier avec les fusions d’académies en préparation (pour les calquer sur les nouvelles régions). C’est la nouvelle région académique qui prendrait la main, en lien avec la volonté de fusionner les académies. « Rationaliser » voudra dire fermer des centres, des sites départementaux, des préparations au concours, fusionner des filières, amplifier les leurres de la formation à distance, contraindre les personnels à la mobilité, etc.
  • recommandation n°3 : « Mettre en place un dispositif d’évaluation de l’évolution des pratiques enseignantes et de l’entrée dans le métier à la suite de la création des ÉSPÉ ».
    Il ne faut pas que ce dispositif fonctionne sur le modèle de l’audit patronal ; il faudrait au contraire qu’il ouvre vers une construction collective, mettant en oeuvre le savoir-faire des chercheur.se.s et donnant une place importante à l’expression des organisations syndicales, des étudiant.e.s des ÉSPÉ et des enseignant.e.s et CPE récemment titularisé.e.s. Ce n’est hélas pas dans le sens de ces « états généraux des ÉSPÉ » que progressent les deux ministères.
  • recommandation n°4 : « Formaliser et systématiser les procédures académiques de suivi des stagiaires et de repérage des difficultés ; organiser pour chaque stagiaire en difficulté un plan de formation et de suivi individualisé et, préalablement à la titularisation, formaliser l’engagement de l’intéressé à suivre ce plan ; débuter les formations complémentaires dès l’année de stage ».
    C’est une recommandation très inquiétante quant à l’usage qui en serait probablement fait par la hiérarchie des inspecteurs (IA, IPR et IEN). Les conditions actuelles de formation sont catastrophiques et les parcours initiaux de formation sont souvent très douloureux pour les stagiaires. Face à cela, des dispositifs de « soutien » sont déjà formellement en place, sans impact réel sur l’accompagnement des difficultés des jeunes collègues. Cette nouvelle recommandation a donc un aspect simplement rhétorique.
    Comme le dit justement le rapport, il faut « organiser un accompagnement renforcé lors de l’entrée dans le métier ». Mais, dans le contexte d’étranglement budgétaire et d’autoritarisme, cet « accompagnement renforcé » sera surtout un renforcement du contrôle des stagiaires, autrement dit du flicage des enseignant.e.s et de leurs formateur.trice.s, pour par exemple surveiller qu’ils utilisent la méthode « vraie » d’apprentissage de la lecture (celle du livret Blanquer), qu’ils mettent bien en place l’emploi du temps 1/4h par 1/4h d’heure fourni par le ministère, qu’ils n’écoutent pas trop les syndicats contestataires, etc. Ces dérives, qui sont déjà largement en place dans certains secteurs de la formation, pourraient s’amplifier et nous conduire vers un « formatage » plus important des étudiant.e.s, des stagiaires, des néotitulaires et de leurs formateur.trice.s. C’est cette caporalisation que nous dénonçons.
  • recommandation n°5 : « Développer la bivalence et la polyvalence dans les parcours de licence, proposer des licences combinant une majeure et une mineure pouvant relever d’UFR différentes, et offrir aux étudiants de licence des modules de formation de nature à éclairer leur orientation vers les métiers de l’enseignement ».
    C’est ce que voudrait Blanquer pour tous les enseignant.e.s : la bivalence (le fait d’enseigner 2 matières). Certes, la polyvalence est liée au premier degré et aux professeurs de lycée professionnel (les PLP), mais nous savons bien que la volonté de l’étendre à tout le secondaire et au supérieur a surtout pour justification le cadre budgétaire (chute des postes aux concours, pénurie d’enseignant.e.s). Elle a aussi un lien avec la conception du métier d’enseignant.e et avec le statut. Par exemple, étant donné que nous manquons de professeur.e.s de maths, il s’agit de pouvoir obliger les professeur.e.s de physique-chimie à faire des maths, même s’ils ne sont pas formés pour cela. De même, étant donné que le ministère supprime des heures de SVT (sciences de la vie et de la terre) au lycée, il faut pouvoir « reconvertir » un.e prof de SVT en informatique... Cette recommandation est évidemment en lien avec la volonté actuelle de remise en cause du diplôme de licence : en particulier, une telle licence permettrait-elle de poursuivre des études ?
  • recommandation n°6 : « Placer les épreuves d’admissibilité en fin de licence ; asseoir davantage les épreuves d’admission, qui seraient placées au cours de l’année de M1, sur des enseignements de professionnalisation ».
    Nous nous interrogeons sur le sens et sur la faisabilité de cette proposition, d’autant plus que l’expérience malheureuse de première vague des ÉSPÉ montre la nocivité d’un calendrier plaçant les épreuves d’admission « en cours d’année ». Que deviendraient les recalés des épreuves orales ? Par contre, le rapport n’apporte aucune précision sur des questions essentielles : sous quel statut seraient recruté.e.s ces nouveaux.elles enseignant.e.s et CPE ?
    La CGT rappelle que son projet pour les ÉSPÉ revendique un concours complet niveau licence, ouvrant droit au statut de fonctionnaire-stagiaire et à une véritable formation universitaire par alternance progressive durant deux ans, poursuivie par de substantiels compléments de formation pendant les deux années suivant la titularisation (permis par des décharges de service).
    La notion d’enseignements de professionnalisation nécessite aussi des précisions et des garanties.

Au global, ces recommandations, qui comportent çà et là quelques remarques acceptables, signifient surtout que la curée est ouverte sur les ÉSPÉ actuelles. Les nouvelles ÉSPÉ n’auront plus grand-chose d’« universitaire ». C’est l’employeur, le ministère de l’Éducation nationale, qui contrôlera tout et décidera de tout, sans se soucier de la liberté pédagogique des enseignant.e.s et des pratiques critiques et réflexives permises par les libertés académiques et la recherche. D’ailleurs, alors que la rhétorique ministérielle serine depuis plusieurs années la ritournelle du « rôle majeur » des ÉSPÉ dans la recherche éducative et de « l’adossement des masters à la recherche », cet aspect est totalement absent du rapport. Cela montre bien que les ÉSPÉ sont appelés à devenir une simple annexe des rectorats, des IPR et des IEN, avec un rôle essentiellement «  certificatif  » et de « suivi des jeunes collègues », recouvert par un vernis universitaire (quelques cours magistraux…). C’est une nouvelle fois une formation au rabais qui est envisagée, ce qui est à relier avec le projet plus global de démolition du statut de la fonction publique avec la généralisation de l’embauche de contractuels...

2. La réponse des deux ministres

Les deux ministres s’appuient sur le rapport pour développer une argumentation sur plusieurs axes :

- 1) L’autosatisfaction et la solidarité avec l’étape précédente de la politique imposée à la formation des maîtres. Ils dressent un bilan enthousiaste, ce qui est hallucinant quand on connaît les dégâts provoqués dans les ÉSPÉ et la montée en puissance de la souffrance professionnelle des stagiaires et des personnels (attestée par les CHSCT). Mais ni la CDC ni les ministres ne parlent des personnels et n’intègrent les CHSCT dans leur bilan.

- 2) La confirmation du rôle moteur de la région académique pour «  piloter l’offre de formation ». Il y a de quoi s’inquiéter pour les sites départementaux, les disciplines à faible effectif, etc. Les ministres valorisent une « réflexion sur la cartographie économique des ÉSPÉ », afin de permettre notamment des « formats pédagogiques innovants » (la fin du présentiel, autrement dit…).

- 3) L’accentuation d’une individualisation du suivi/contrôle des stagiaires centrée sur les « compétences », par exemple avec un « radar d’acquisition et de performance » (sic !) et avec des dispositifs « d’auto-positionnement » dans lesquels on reconnaît le management par compétences et responsabilisation négative des individus.

- 4) Le rappel du rôle important de la hiérarchie (les inspecteurs), qui est abondamment décrit par le ministre. Par contre le travail des pairs (les formateurs de terrain) et celui des universitaires est passé sous silence. Il y a là toute une conception de la formation comme formatage initial.

- 5) L’éloge du précariat, avec l’exemple des divers contractuels au sein de « parcours d’apprentissage du métier en alternance, dès la première année de master MEEF ». C’est l’annonce que les admissibles aux concours auront « droit » à un contrat (à la place d’un recrutement) et seront encore plus qu’aujourd’hui la force d’appoint du ministère pour réduire les postes de fonctionnaires. Pendant les deux ans du Master, l’alternance (donc le fait que les étudiants soient en responsabilité à mi-temps) se ferait sous un statut de contractuel, comme c’est déjà le cas à Créteil pour le M1.

- 6) L’éloge de la polyvalence des enseignants, qu’il faudrait développer en n’enfermant pas les étudiant.e.s dans des « parcours tubulaires » (sic).

- 7) L’annonce d’une nouvelle modification de la place des concours, avec « une épreuve d’admissibilité en fin de licence et d’une épreuve d’admission située en M1 ou en M2 ». Toutefois les ministres confessent que cela ne pourra pas être opérationnel avant 2020. En fait, la première logique des ministères étant de faire des coupes budgétaires, le MEN ferait le choix de l’admission en fin de M2, comme le craignait la CGT FERC Sup dès février. Cela permettrait de supprimer d’un trait de plume 25 000 postes de fonctionnaires stagiaires : c’est le volume des suppressions de postes prévues pour l’Éducation nationale...

Tout cela s’inscrit dans le cadre de la feuille de route Action publique 2022. C’est bien le statut des enseignants fonctionnaires qui est visé. Il va d’ailleurs commencer à exploser dès l’année prochaine (comme celui de tous les fonctionnaires) avec la casse du système de pension, qui est justement un des pans importants du statut.

La CGT revendique la construction d’un continuum de formation sur 5 ans :

  • préparation au concours en L3 (modules et stages) ;
  • admission et admissibilité niveau L3 ;
  • deux années de master rémunérées en qualité de fonctionnaire-stagiaire ;
  • deux années de néo-titulaire dotées d’une décharge de service pour des compléments de formation.

La CGT revendique de véritables temps de formation et d’accompagnement, ce qui exclut que les stagiaires soient en responsabilité à mi-temps. La prise de responsabilité doit se faire de manière progressive et sécurisée.