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mercredi 20 octobre 2021

Toulouse INP

la LPR à Toulouse INP : tous impactés

La Loi de Programmation de la Recherche (LPR) a été votée au printemps 2021 et promet des changements importants pour tous les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Nous passons ici en revue les principaux changements.

1. Précarisation des personnels de l’ESR

La LPR propose de nouveaux types de contrats qui vont engendrer une précarisation accrue des salariés : les Chaires de Professeur Junior (CPJ), les CDI de mission et, dans une moindre mesure, les contrats post-doctoraux. Le postulat est le suivant : ces nouveaux statuts engendreront une augmentation de l’attractivité des carrières (il s’agit d’attirer des « talents ») et une efficacité accrue dans le travail. Ci-après, nous donnons des précisions sur le fonctionnement de ces nouveaux contrats et nous exposons les points qui nous semblent problématiques.

  • a - Une route vers des contrats de post-doctorat plus longs

Depuis une vingtaine d’années le recrutement des chercheurs et enseignants-chercheurs sur des postes statutaires a lieu dans un délai de plus en plus long après l’obtention de la thèse. Cela est directement lié à la pénurie de postes que subissent les universités et laboratoires de recherche. Les docteurs, fraîchement diplômés, sont alors amenés à réaliser plusieurs contrats temporaires (post-doc) avant de pouvoir être titulaire d’un poste. La LPR propose d’assouplir les limites légales de post-doctorat pour les étendre à 7 ans. Pour autant, cela ne limite pas la durée du post-doc à 7 ans, car d’autres types de contrats pourront ensuite être employés. La précarisation, maintenant obligatoire, des jeunes docteurs est non seulement une norme, mais elle devient encouragée. Le contrat post-doctoral répond à un besoin, mais il n’est pas une solution. Pourquoi la norme ne serait pas d’obtenir un poste titulaire à la fin du doctorat, qui représente déjà au minimum 8 années d’études ?

  • b - Les CDI de mission : de nouveaux contrats précaires

La loi prévoit aussi des CDI de mission (article L431-6 du code de la recherche) qui sont des contrats visant à « contribuer à un projet ou une opération de recherche identifiée, [...] dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération », et qui s’appliquent à l’ensemble des catégories de personnels. Ces contrats ne sont pas à durée indéterminée puisqu’ils prennent fin, a minima, lorsque la mission est arrivée à terme. Par ailleurs, ces contrats pourront être rompus tout au long du projet « lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser », motif très large qui peut aller jusqu’à « abandon de la thématique de recherche » par exemple. Les CDI de mission sont donc des contrats à durée déterminée dont le terme n’est pas connu à l’avance. Étant estampillé CDI, ils ne donneront probablement pas accès aux primes de précarité, mais ne donnent pas lieu non plus à des indemnités de fin de CDI.
Ce type de contrat menant à une précarité qui elle, est à durée indéterminée, est une atteinte à la qualité de vie des personnels et instaurera une plus grande emprise de la hiérarchie sur ses personnels.

  • c - Les Chaires de Professeur Junior : une individualisation dangereuse de la recherche

La LPR instaure les Chaires de Professeur Junior (CPJ) qui s’apparentent aux « tenure-track » anglo-saxons pour les chercheurs et les enseignants-chercheurs. La personne recrutée sur une CPJ commence par faire un CDD, d’une période de 3 à 6 ans, au cours duquel elle doit remplir des objectifs annoncés lors de son recrutement (objectifs d’obtention de contrats et de production de résultats scientifiques). La nouvelle recrue sur ce type de contrat sera accompagnée par l’établissement et par l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) avec un service d’enseignement réduit (entre 32 et 64h) et une dotation de l’ordre de 200 k€ sur 3 ans. Si les objectifs sont atteints, après cette « période d’essai », la personne sera localement titularisée dans le corps des professeurs des universités (PR) ou des directeurs de recherche (DR), i.e., sans avis d’une instance nationale telle que la CNU. Ce type de démarche représente une remise en question globale de l’évaluation de la recherche : on impose ici des objectifs à court terme d’obtention de résultats qui mettront de toute évidence les recrutés sous pression et qui pourraient les pousser à des entorses à l’éthique scientifique. Par ailleurs, cela imposera un système à deux vitesses entre les CPJ et les traditionnels Maîtres de Conférence (MCF) et chargés de recherche (CR) qui auront à assurer 192h d’enseignement et qui n’auront aucune dotation de recherche. Est-ce que l’égalité des chances vis-à-vis de la progression de carrière reste assurée ? Comment justifier que des CPJ passent directement PR ou DR au bout de 3 à 6 ans quand des collègues recrutés depuis plus de 15 ans n’ont plus aucun espoir de progression ?

2. Hausse annoncée de budget, des rémunérations et des financements

La LPR prévoit une augmentation du budget de 5 milliards d’euros sur dix ans ( +20 % en enlevant l’inflation), principalement via le doublement du budget de l’ANR qui est le principal organisme pour les demandes de financements publique de la recherche. Cette augmentation, si elle est effective, est prévue à partir de 2023 et devrait permettre d’améliorer le taux de réussite aux appels à projet.
Pour calmer la fronde contre la LPR, un accord d’augmentation des rémunérations des enseignants, des chercheurs et des enseignants-chercheurs a été signé en parallèle, allant de pair avec un repyramidage de ces derniers et des Ingénieurs et personnels Techniques et Administratifs de Recherche (ITRF). Pour les enseignants-chercheurs, le repyramidage consisterait à proposer des promotions internes (400 par ans pour 34500 MCF, donc environ 1% des MCF) pour atteindre un ratio de répartition MCF/PR de 60% / 40%. Toulouse INP a déjà un ratio très proche de cet objectif national, bien qu’il existe de fortes disparités selon les disciplines. Pour les ITRF, l’accord prévoit 100 possibilités de promotion d’Ingénieur d’Étude (IGE) à Ingénieur de Recherche (IGR), 600 promotions d’Assistant Ingénieur (ASI) à IGE, 1450 promotions de Techniciens (T) à ASI et 2500 pour devenir T. Pour rappel, les effectifs des ITRF étaient en 2019 (source MESRI ) : 2544 IGR, 8667 IGE, 4043 ASI, 11762 T et 16921 adjoints techniques de recherche et de formation (ATRF), d’où un pourcentage de promotions de 1% des IGE, 15% des ASI, 12% des T et 15% des ATRF.

L’augmentation annoncée de rémunération des MCF et CR repose sur un meilleur reclassement à l’entrée et sur la mise en place d’une prime équivalente au RIFSEEP, le RIPEC : l’objectif est d’atteindre un minimum de 2 fois le SMIC au recrutement. La prime serait composée de trois parties : une partie fixe associée au grade, une partie variable associée aux responsabilités et une partie variable distribuée au « mérite ». La prime globale pourrait s’élever jusqu’à 6400€ brut par an à partir de 2027. Cela dit, et à ce jour, la loi ne garantit rien sur ces augmentations de budget, et n’indique pas les moyens mis en œuvre. En effet, la LPR n’est pas contraignante pour un gouvernement car les budgets alloués aux différents ministères sont déterminés par la loi des finances qui est votée chaque année. Cette loi est donc uniquement une feuille de route, mais les budgets annoncés ne sont en rien garantis. L’augmentation progressive du budget de l’ESR, prévu principalement à partir de 2023, apparaît alors comme très préoccupant sachant que le gouvernement aura probablement changé.

Concernant les repyramidages des enseignants-chercheurs, le nombre de promotions internes possibles (400/an) apparaît bien insuffisant au regard du nombre de MCF (5% de promotion sur le corps complet, 2000 promotions sur 5 ans pour entre 10000 et 20000 MCF promouvables). Si le repyramidage des ITRF semble plus ambitieux (sauf pour les IGE), il n’est pas fait mention d’une augmentation de salaire quelconque. Enfin, rien n’est dit sur les personnels BIATSS non ITRF (personnels administratifs sociaux et de santé, personnels de bibliothèque) qui représentent 24% des BIATSS.

3. Incitation à des logiques concurrentielles

La LPR fait apparaître un renforcement de la logique concurrentielle à tous les niveaux, entre établissements, laboratoires et personnels.

  • a - Logique concurrentielle de financement de la recherche

L’augmentation du budget de la recherche prévue par la loi repose quasi exclusivement sur une augmentation du budget de l’ANR. Ce ne sont donc pas les financements récurrents qui vont être augmentés, comme le demandent de longue date l’ensemble des personnels pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Les dotations dans le cadre d’appels à projets entraînent une répartition inéquitable des moyens pour la recherche entre les laboratoires et entre les chercheurs au sein d’un laboratoire au nom d’une « méritocratie » qui n’est pas acceptable. Tout personnel recruté devrait avoir les moyens de travailler. Passer une part importante du temps de recherche à trouver des moyens financiers plutôt que de faire de la science n’a aucun sens. Cette analyse est en phase avec l’avis du CESE qui représente la société civile et rend un avis sur chaque proposition de loi : « la loi ne se donne pas les moyens de ses ambitions », l’augmentation financière n’étant pas à la hauteur ni à même de compenser de quelques manières que ce soit l’augmentation de la précarité induite par la loi.

  • b - Logique concurrentielle des titularisations et des rémunérations

Le point d’indice et donc les salaires ne seront pas réévalués, par contre le système de primes se généralise avec des parts individuelles non-négligeables (primes qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des pensions de retraite). L’évaluation du mérite ou non des agents de l’université sera instauré pour toutes les catégories de personnel. Quels seront les critères d’excellence individuelle ? On peut encore une fois imaginer que l’enseignement ne sera pas pris en compte, puisqu’il est minimisé au point d’être réduit à 64h d’enseignement pour les CPJ. En ce qui concerne la recherche, le nombre de publications, qui est le premier des critères d’évaluation, dépend très fortement de l’environnement scientifique (collègues, groupe, laboratoire…) dans lequel évolue la personne et des moyens mis à sa disposition. Comment peut-on décorréler le mérite intrinsèque d’un agent, d’une métrique de production scientifique largement pipée ? On peut déjà mesurer les limites de la course à la publication : le nombre exorbitant de publications nuit à la visibilité des avancées scientifiques réelles. La LPR impose une pression exacerbée sur les différents corps de métier de la recherche et de l’enseignement supérieur. L’évaluation continue, individuelle, et quasi-instantanée présente des risques forts pour la qualité de la recherche et pousse à adresser en majorité des problèmes de recherches à court terme.

Conclusion

En résumé, cette loi est loin d’apporter des solutions pour contribuer à une progression globale de la connaissance scientifique et semble aller à l’encontre de l’épanouissement des personnels.




Précisions :
- Analyse de la CGT sur la LPR : https://cgt.fercsup.net/les-dossiers/enseignement-superieur/lppr-frederique-vidal-2019-2021/article/lpr-analyse-cgt